Dans le journal de 7h30 du lundi 27 février sur France Inter, le récit d’événements intervenus la veille en Cisjordanie a fait l’objet d’une manipulation étonnante qui s’appuie sur des mensonges discrets.
Voici le verbatim des propos tenus sur ce sujet par Anaïs Feuga, qui présente le journal, puis par Frédéric Métézeau qui se trouve sur place.
Dans les titres tout d’abord (c’est Anaïs Feuga qui parle) :
« Une nuit de tension inédite près de Naplouse en territoire palestinien des dizaines de maisons incendiées par des colons juifs en représailles de la mort de deux jeunes israéliens. Nous serons sur place. »
Puis le sujet est traité dans le corps du journal, toujours par Anaïs Feuga :
« Ne faites pas justice vous-même, l’appel vidéo de Benjamin Netanyahou hier soir à destination des colons juifs de Cisjordanie car la situation est ce matin extrêmement tendue près de Naplouse, cette ville de 200.000 habitants dans le nord de la Cisjordanie, en territoire palestinien donc, où l’armée israélienne a mené son raid le plus meurtrier depuis plus de 15 ans, une opération de 4 heures vendredi avec tirs de missiles, fusils, onze palestiniens tués, des dizaines de blessés. Hier deux jeunes colons israéliens qui circulaient en voiture ont été tués dans le secteur.
Bonjour Frédéric Métézeau, vous êtes notre correspondant dans la région. Vous êtes dans la banlieue de Naplouse, à Huwara où le cycle des représailles semble s’être enclenché après l’attaque, j’en parlais, des deux jeunes israéliens. Des centaines colons s’en sont pris aux maisons des palestiniens, une nuit de tension inédite. »
C’est alors Frédéric Métézeau qui parle :
« Oui, un palestinien tué et une centaine de blessés dans une véritable expédition punitive ici à Huwara. Toute la soirée des colons israéliens ont pourchassé des habitants et mis le feu à des maisons. L’armée israélienne, qui occupe les environs, est même intervenue pour évacuer des civils palestiniens on n’avait jamais vu un tel raid mené par des colons. Si les violences sont quotidiennes en Cisjordanie elles n’ont jamais atteint une telle ampleur. Les Palestiniens que nous avons rencontrés ce matin nous parlent de dizaines de colons descendus des collines, lancés dans des chasses à l’homme avec des pierres et des armes à feu, des voitures et des camions ont aussi été brûlés. La population terrorisée est terrée chez elle encore ce matin. Les colons voulaient venger deux des leurs tués hier tout près d’ici par un Palestinien toujours en fuite mais hier c’est une nouvelle étape qui a été franchie dans le cycle de violence, un déchainement de haine sidérant. Plus de 60 palestiniens et une douzaine d’israéliens ont été tués depuis cette année 2023. »
Anaïs Feuga reprend alors la parole pour clore le sujet :
« Frédéric Métézeau en direct de Huwara près de Naplouse en territoire palestinien. »
En général, lorsqu’un envoyé sur place est sollicité, le (la) journaliste qui présente le journal décrit les événements puis lui donne la parole pour qu’il complète ses propos avec des informations plus précises, des éléments de contexte ou des témoignages. Rien de tel ici. Anaïs Feuga raconte une histoire puis Frédéric Métézeau en raconte une autre. Dans les deux récits les Israéliens ont le mauvais rôle, mais il s’agit bien de deux épisodes différents. Dans le premier l’armée attaque avec des missiles et des fusils (des fusils !), dans le deuxième ce sont des « colons juifs » qui se rendent coupables d’un déchaînement de violence tel que même l’armée israélienne finit par intervenir pour protéger les civils palestiniens.
Et surtout l’une parle de onze Palestiniens tués, l’autre n’en compte qu’un.
On peut alors se demander ce qui s’est passé réellement à Huwara.
La plupart des journaux s’accordent pour mentionner une opération de l’armée israélienne le mercredi précédent (22 février) à Naplouse au cours de laquelle dix ou onze palestiniens auraient été tués. Les soldats israéliens étaient à la recherche de plusieurs Palestiniens suspectés de meurtres, j’y reviens plus loin.
Puis dimanche deux jeunes israéliens ont été tués, des civils israéliens ont réagi et ce sont les événements dont parle Frédéric Métézeau.
Pourquoi alors Anaïs Feuga nous parle-t-elle d’un épisode vieux de cinq jours à propos des événements de la veille ?
Pour une raison assez facile à comprendre si l’on connait un peu la manière dont France Inter parle d’Israël : il s’agit de ne pas laisser les événements de dimanche être racontés de manière isolée car ils n’incriminent pas assez les Israéliens. D’abord parce que la violence a commencé du fait des Palestiniens, ensuite parce que le score final est « en faveur » des Israéliens avec deux morts israéliens pour un seul palestinien (qu’on excuse cette macabre ironie).
Ajouter à ces événements ceux de la semaine précédente permet de gommer ces deux accrocs au discours univoque de France Inter. D’une part l’antériorité de l’intervention de l’armée israélienne permet de suggérer que ce sont les Israéliens qui ont lancé ce cycle de violence, d’autre part avec onze morts les Palestiniens reprennent l’avantage.
Le problème est que ce rapprochement est assez étrange en raison des dates des deux épisodes. Cet écart est même très gênant en fait. La journaliste en est d’ailleurs bien consciente, c’est pourquoi elle va mentir sur la date afin de réduire cet anachronisme : elle affirme que l’attaque a eu lieu « vendredi » alors qu’elle s’est produite deux jours plus tôt, mercredi. Ainsi le rapprochement des deux événements semble moins incongru. Mensonge parfaitement anodin, mais qui fonde la manipulation.
Une autre manipulation concerne la proximité des lieux des deux événements. Celle-ci passe plus facilement inaperçue car nous ne connaissons pas tous la géographie de la Cisjordanie. Pour suggérer que les événements de mercredi à Naplouse sont à l’origine de ceux de dimanche à Huwara, Anaïs Feuga nous dit que le meurtre des deux jeunes israéliens a eu lieu « dans le secteur » et elle nous précise que Frédéric Métézeau est « dans la banlieue de Naplouse, à Huwara ». Or les deux villes sont distantes de près de 8 km à vol d’oiseau. Sans aucune continuité urbaine. On ne peut clairement pas parler de banlieue dans un rayon de 8km autour d’une ville de 150.000 habitants (même si Anaïs Feuga en compte 200.000). Ce mot de « banlieue » a pour seul objectif de rapprocher physiquement les deux épisodes.
Ajouter au récit des événements du dimanche cet épisode de mercredi est une manipulation d’un assez haut niveau. Mensonge sur les dates, approximation sur les lieux, apparemment c’est anodin mais cela permet d’alimenter facilement un discours toujours anti-israélien. Avec ce genre de méthode on peut falsifier n’importe quel épisode historique.
A cela s’ajoutent les manipulations plus ordinaires, qui ne manquent pas dans ces deux minutes de radio et que l’on peut passer rapidement en revue.
En premier lieu l’intervention de l’armée israélienne du mercredi n’était pas sans raison, même si France Inter n’en dit rien. Le journal québécois Le Soleil est explicite :
« L’armée israélienne a indiqué avoir mené une «opération antiterroriste» en zone autonome palestinienne au cours de laquelle «trois suspects recherchés et impliqués dans des attaques armées (en Cisjordanie) et planifiant des attaques pour un futur immédiat (ont) été neutralisés».
Les forces israéliennes ont encerclé un bâtiment, avant des échanges de tirs avec les «suspects armés» qui s’y barricadaient, a indiqué l’armée, ce qu’ont confirmé des témoins à l’AFP.
«Nous avons ensuite intensifié nos efforts et des roquettes ont été tirées sur la maison», a précisé un porte-parole militaire israélien, Richard Hecht ».
On peut trouver sur Courrier International plus de précisions sur ce qui était reproché aux suspects recherchés : ils étaient accusés de meurtres. Le site de TF1 enfin évoque cette région comme « un bastion de groupes armés palestiniens ». Notion inconnue sur France Inter où les Palestiniens ne sont que des civils.
Je ne dis pas que l’opération de l’armée israélienne était juste ni indispensable mais il est intéressant de savoir qu’il ne s’agissait pas de violence gratuite contrairement à ce que France Inter répète implicitement en gommant la moitié des informations.
On retrouve aussi les éléments de langage habituels de France Inter, que l’on finit par ne plus remarquer mais qui sont significatifs. Ainsi des « colons juifs ». L’utilisation du mot colon est discutable tellement la notion de colonie peut être ambigüe, mais parler de « colons juifs » au lieu de « colons israéliens » est clairement significatif. Ces gens sont israéliens. Ne pas le dire c’est en faire des apatrides. C’est enlever toute légitimation à leur présence sur les lieux. C’est un propos militant.
On retrouve aussi l’habituelle inversion chronologique dans le récit des événements de dimanche. Dans les titres comme dans le récit de Frédéric Métézeau sont d’abord citées les violences commises par les Israéliens. Ne viennent qu’ensuite les violences commises par les Palestiniens, qui en sont pourtant la cause. Inversion du sens logique systématique dans le traitement des événements dans cette région.
Autre constante : les témoignages n’émanent que des Palestiniens et ils ne sont aucunement mis en doute ni contrebalancés par une autre vision. On a l’habitude. Frédéric Métézeau cite « les Palestiniens que nous avons rencontrés ». On ne demande évidemment pas leur avis aux colons juifs.
Enfin, les derniers mots de Frédéric Métézeau sont pour mentionner que « Plus de 60 palestiniens et une douzaine d’israéliens ont été tués depuis cette année 2023 ». Les décomptes des morts sont approximatifs pour les deux camps, mais les Palestiniens ont droit à un vrai nombre alors que pour les Israéliens ce « douzaine » n’évoque qu’une quantité qui efface les individualités.
Tout cela en moins de deux minutes. Une très jolie manipulation.