Plus encore que les événements au Stade de France lors de la finale de la Coupe d’Europe, la manière dont le gouvernement en parle est une honte pour la France.

On le sait, le coup d’envoi du match samedi 28 mai a été retardé de plus de 30 minutes en raison d’incidents autour du stade ayant donné lieu à l’intervention des forces de l’ordre. Les explications données par les organisateurs sur les écrans géants du stade ont mentionné l’arrivée tardive des supporters.

L’explication fournie par les organisateurs aux spectateurs

Puis, peu après la fin du match, Gérald Darmanin tweetait cette explication : « Des milliers de «supporters » britanniques, sans billet ou avec des faux billets ont forcé les entrées et, parfois, violenté les stadiers. Merci aux très nombreuses forces de l’ordre mobilisées ce soir dans ce contexte difficile. » Amélie Oudéa-Castera quant à elle félicitait le Real Madrid en ajoutant : « Les tentatives d’intrusion et de fraude des milliers de supporters anglais ont compliqué le travail des stadiers et des forces de police mais ne terniront pas cette victoire. La violence n’a pas sa place dans les stades ».

C’est l’explication qui était reprise par la majeure partie de la presse le lendemain dimanche. Des vidéos ont circulé montrant des jeunes gens (la légende mentionnait des supporters de Liverpool) escaladant les grilles du Stade de France avant de se précipiter dans les accès aux tribunes, à peine poursuivis par les très rares stadiers.

Des supporters de Liverpool en train de faire intrusion ?

Pour ceux qui n’avaient pas de raison de se documenter plus avant, le discours officiel et les quelques photos ou vidéos entraperçues imposaient l’image, malheureusement déjà vue par le passé, de hooligans anglais venus gâcher la fête du football.

Puis certains médias, essentiellement sportifs, au premier rang desquels le journal l’Equipe, ont commencé à donner d’autres explications. Dont des éléments factuels simples mais qui n’avaient pas été communiqués par les principales chaînes de radio comme la grève du RER B. Il s’agit d’habitude de la ligne la plus utilisée pour rejoindre le stade depuis Paris, le RER D et la ligne 13 offrant un débit plus limité. Le RER D s’est donc trouvé à véhiculer un nombre de passagers pour lequel il n’avait pas été conçu.

A l’arrivée du RER D ce sont quatre couloirs qui permettent d’évacuer les passagers jusqu’à un premier contrôle, contre une douzaine pour le RER B. D’où un goulet d’étranglement où se sont entassés des milliers de supporters. Finalement sous la pression ce premier point de contrôle a sauté, ce qui a probablement permis d’éviter le pire.

Ont également commencé à circuler des informations concernant des bandes de jeunes qui auraient attaqué des supporters, pour les dépouiller de leurs tickets mais aussi du reste de ce qu’ils possédaient. Et certains se sont alors avisés que les « supporters de Liverpool » que les vidéos montraient en train d’escalader les grilles n’en avaient pas la tenue. Les supporters vont souvent au stade revêtus du maillot de leur équipe, et c’est à peu près systématique lorsqu’ils vont la soutenir à l’étranger. Il suffit de voir d’autres images montrant les supporters pour le constater, ils sont tous en rouge. Or des quelques énergumènes que l’on voit escalader les grilles aucun n’arborait ce maillot, ni même une simple écharpe.

Ces gens ne sont pas des supporters de Liverpool

Voilà des supporters de Liverpool

Lundi matin les radios commençaient donc à évoquer cet autre élément, les jeunes délinquants qui auraient profité de la situation pour semer le désordre et détrousser les passants. La grève du RER B était aussi enfin entrée dans le paysage. En milieu de journée Gérald Darmanin et Amélie Oudéa-Castera faisaient une déclaration sur ces incidents, après avoir tenu une réunion avec les organisateurs du match. Le Ministre de l’intérieur a alors repris, pour la renforcer, son explication sur les supporters de Liverpool qui seraient responsables des troubles. Selon lui il y aurait eu « entre 30.000 et 40.000 supporters britanniques sans billets ou avec des billets falsifiés » aux abords du Stade de France. Il mentionne une « fraude massive, organisée et industrielle » qui serait le « mal-racine » à l’origine des incidents. Et il évoque (enfin) le problème du RER.

Mais cette théorie d’une responsabilité qui incomberait aux seuls supporters anglais est contredite par les très nombreux témoignages diffusés par la presse et sur les réseaux sociaux. Certes un témoignage n’est pas une preuve, ce n’est qu’un exemple, un minuscule échantillon de réalité, et surtout il peut être biaisé, volontairement ou non. Mais il se trouve que de nombreux journalistes sportifs étaient sur place, parfois en tant que simples spectateurs. On peut leur prêter un certain recul sur ce qu’ils ont pu voir, la plupart ont une grande expérience de ce genre d’événements et surtout, contrairement aux témoins anonymes, ils devront assumer leurs propos. Ils ne peuvent donc pas se permettre de dire n’importe quoi.

Tous s’accordent pour décrire une très mauvaise organisation des accès, en particulier à la sortie du RER D, des foules de spectateurs bloqués plusieurs heures sans informations, des bandes de délinquants attaquant des supporters avant et après le match et de manière extrêmement générale un grand calme de la part des anglais victimes de ces événements. On parle également de tourniquets d’entrée qui ne fonctionnaient pas, dont certains auraient été bloqués suite au passage de faux billets.

Et surtout aucun ne parle de comportement violent de la part des supporters de Liverpool. Je n’ai d’ailleurs vu aucune image de ces prétendus hooligans auxquels les propos des ministres veulent nous faire croire.

Des hooligans ?

Au-delà de ces témoignages des constats extrêmement factuels permettent de remettre en cause les déclarations des ministres. Le premier concerne le problème du RER. Ce fait n’est apparu dans le discours du gouvernement et dans la plupart des médias qu’au cours de la journée de dimanche ou même lundi matin. Or c’est un élément crucial dans la désorganisation des accès au stade.

Mais le gouvernement ne pouvait pas avancer cette explication. En premier lieu cela aurait été avouer qu’il n’avait pas anticipé les conséquences pourtant évidentes d’une situation connue à l’avance. Deuxièmement il aurait donné l’impression de rendre les grévistes responsables du chaos. Cela aurait été très maladroit.

Mais le constat le plus clair concerne les 30 à 40.000 faux billets. Si l’on en croit Monsieur Darmanin, après le début du match il se serait trouvé plus de 30.000 supporters munis de faux billets autour du stade. Où sont-ils passés ? A-t-on vu des dizaines de milliers de supporters frustrés errer autour du stade à la recherche d’une télévision retransmettant le match ? Les cafés des alentours ont-ils été pris d’assaut ?

Non. On n’a rien vu de tel. Ces 30 à 40.000 supporters se sont volatilisés.

Mardi matin encore, même si le discours du gouvernement commence à être critiqué un peu partout, cette théorie d’une quantité astronomique de faux billets est acceptée par une bonne partie de la presse. Or elle ne tient pas devant le simple constat que cette quantité de supporters, qui représente la moitié du Stade de France, aurait tout de même laissé des traces de son passage.

On peut maintenant se demander pourquoi le gouvernement tient un discours à ce point en contradiction avec les faits en faisant peser la responsabilité des désordres presque sur les seules épaules des supporters de Liverpool. La première raison est sans doute que l’image de ces supporters est malheureusement associée à des événements tragiques (en particulier le drame du Heysel lors de la finale de Coupe d’Europe en 1985). L’explication de leur responsabilité peut donc être facilement acceptée par le public.

La deuxième raison est électorale et c’est sans doute la principale. Les supporters de Liverpool ne votent pas. Ils sont donc le bouc émissaire idéal. On l’a dit, le gouvernement ne peut pas invoquer la grève du RER B puisque ce serait stigmatiser les grévistes et admettre un manque d’anticipation inavouable. Quant à évoquer les bandes de délinquants qui ont semé le désordre et la violence, cela ouvrirait un boulevard à l’extrême gauche et à l’extrême droite. L’extrême gauche ressortirait ses discours sur les violences policières et la stigmatisation des jeunes des banlieues défavorisées. Quant à l’extrême droite elle aurait beau jeu de dénoncer les zones de non droit et l’immigration incontrôlée.

Une affluence plutôt inhabituelle pour le RER D

L’Europe sait maintenant que nous ne sommes pas capables de gérer un événement de cet ordre, que nous pouvons être pris au dépourvu par une grève de RER pourtant dûment annoncée, que nous ne maîtrisons pas la délinquance dans un lieu pourtant lourdement fourni en forces de l’ordre et surtout que nous ne sommes pas capables de le reconnaître.

Car le pire dans tout cela est le déni de réalité de la part du gouvernement. Ce déni est pathétique. Au-delà d’être l’expression de beaucoup de mépris et d’une grande lâcheté il ferme tout espoir d’une prise en compte de la réalité et donc d’une amélioration de cette situation lamentable.

Un commentaire sur « Incidents lors de Liverpool – Real : pire que le fiasco, le déni. »

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