Dans le viol d’une femme (ou d’un homme), le seul qui perd sa dignité est le violeur. La dignité de la femme violée n’est absolument pas en cause. Les signataires de la tribune du Monde ont donc littéralement raison, et leurs détracteurs font, sur ce point, au mieux un contre-sens, au pire une mauvaise action, en accordant au violeur un pouvoir moral qu’il n’a pas sur sa victime.
La tribune publiée par Le Monde le 9 janvier intitulée (1) : « Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle », a suscité des réactions extrêmement violentes. Le passage ci-dessous a beaucoup choqué :
« Les accidents qui peuvent toucher le corps d’une femme n’atteignent pas nécessairement sa dignité et ne doivent pas, si durs soient-ils parfois, nécessairement faire d’elle une victime perpétuelle. Car nous ne sommes pas réductibles à notre corps. »
Voici la réaction à cette phrase de l’éditorialiste M. Nicolas Domenach, elle est assez significative :
« Autrement dit, toutes celles qui ont été outragées, brutalisées, et même violées n’ont pas à se plaindre. Une telle inconscience suscite la nausée effectivement. »
Nicolas Domenach, avec la plupart des commentateurs, fait un contresens total.
Qu’est-ce que la dignité ?
Voici une définition du Larousse : «Respect que mérite quelqu’un ou quelque chose.»
Les victimes de viol ont-elles perdu le respect que nous leur devons ? Evidemment pas. Seul le violeur a perdu notre respect, seul le violeur a perdu sa dignité. Une victime de viol peut être traumatisée (parfois à vie), souffrir énormément, mais la seule chose, précisément, à laquelle son violeur n’a aucun accès, c’est sa dignité. Une victime de viol ne perd pas plus sa dignité qu’une victime d’attentat restée handicapée, pour prendre un autre exemple de crime insupportable.
La dignité d’une femme n’est pas entre ses jambes.
Seuls les intégristes religieux, les machistes à l’ancienne ou les puritains obsessionnels, estiment qu’une femme non pucelle au mariage, ou adultère, est « indigne ». Seuls les mêmes, donc, devraient pouvoir croire qu’une femme a perdu sa dignité dans un viol. Dans certains pays, des femmes violées sont d’ailleurs assassinées par leurs familles au nom de « l’honneur ».
Le contresens de M. Domenach (et de la plupart des commentateurs) est donc total. Le passage de cette tribune est non seulement exact (et « digne » ai-je envie d’ajouter) mais il nous rappelle une vérité fondamentale : le violeur, l’agresseur, le criminel, n’a aucun pouvoir moral sur sa victime.
Pourtant M. Domenach et ceux qui le suivent veulent absolument que le viol touche à la dignité des femmes. Et pourquoi ? Parce que, dit-il, nier l’atteinte à leur dignité c’est affirmer qu’elles «n’ont pas à se plaindre.» Le texte de la tribune ne dit pas du tout cela. Bien sûr elles peuvent se plaindre : le viol est une monstrueuse souffrance physique et morale, personne n’en doute à part quelques imbéciles , extrémistes et provocateurs, inutile d’inventer une perte de dignité pour se plaindre, inutile de s’aligner sur tous les intégristes et puritains.
Une idée implicite (et contestable) du mouvement #metoo est que la victimisation des femmes est un moyen de lutter contre les violences qu’elles subissent. Ce que révèle la critique de M. Domenach, c’est que la pseudo « perte de dignité » est sans doute pour ce mouvement un simple instrument de plus au service de cette nécessaire et utile victimisation. Plus les femmes pourraient «se plaindre», plus on lutterait contre le fléau de la violence dont elles sont victimes, en somme.
Pourtant, imaginer que le discours sur l’atteinte à la dignité dissuaderait le moindre violeur paraît ridicule. Quant aux victimes, leur raconter que l’humiliation qu’elles peuvent ressentir serait justifiée, non seulement ne les aide pas, mais augmente en réalité leur souffrance morale.
Cette tribune leur dit précisément le contraire : ne vous sentez pas humiliées, votre dignité n’a rien à voir dans cette affaire. Paradoxalement, Mesdames Sarah Chiche, Catherine Millet, Catherine Robbe-Grillet, Peggy Sastre, Abnousse Shalmani et les autres, aident peut-être plus les femmes violées et agressées sexuellement que beaucoup de discours creux sur la «parole libérée» du mouvement #metoo.
Au total cette importante tribune est très mal lue, c’est le moins que l’on puisse dire.
Mais c’est le lot de ceux qui ne suivent pas le violent courant du conformisme.
(1) Ajout : erreur de ma part, ce titre a été donné à la tribune par la rédaction du Monde sur son édition électronique, le titre de l’édition papier (sans doute validé par les signataires(?)) était : « Des femmes libèrent une autre parole ».
Il était temps d avoir des réactions féminines
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Merci pour ce bel article. Enfin quelqu’un qui comprend!
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Non. Cet article est un contre-sens complet.
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