On voit se répandre l’expression « et/ou » dans de très nombreux écrits, certains officiels, et même dans des textes de qualité. Or pendant des siècles on s’est exprimé très valablement en français sans cet artifice typographique.
Que s’est-il passé ? Pourquoi ce besoin apparaît-il aujourd’hui de manière si impérieuse ?

L’une des raisons est sans doute qu’aujourd’hui il faut être irréprochable de manière certaine. Il faut à tout prix éviter de pouvoir être interprété de travers. On ne peut pas compter pour cela sur le bon sens, sur l’esprit du texte, sur la subtilité. Non. Si la forme du texte peut laisser la place à une interprétation tordue et désagréable, c’est ainsi qu’il sera compris et alors l’auteur risque le pire.

Nous sommes dans une ère d’intolérance où, au-delà du mot de travers, un mot qui pourrait être vu comme étant de travers, peut être mortel pour son auteur. D’où le recours de plus en plus fréquent à cette absurdité grammaticale, « et/ou », pour la seule raison qu’elle interdit les mauvaises interprétations et protège donc contre ce risque.

Prenons un exemple, tiré d’un document traitant de la gestion des risques sociaux et environnementaux. Une phrase évoque les actions qui ont pour but de « Générer un impact social et/ou environnemental positif ».

Avec ce « et/ou », l’auteur exprime qu’il souhaite générer un impact social positif ou un impact environnemental positif ou les deux.

Pourquoi ne s’est-il pas contenté d’écrire « Générer un impact social ou environnemental positif » ?

La seule raison est qu’il a craint qu’on lui dise « Mais alors vous vous interdisez d’avoir à la fois un impact social positif et un impact environnemental positif ? ». Nous sommes tous d’accord pour dire que cette remarque est complètement idiote. Elle est idiote pour deux raisons. D’abord parce qu’elle ne prend pas en compte l’intention évidente de l’auteur, ensuite parce qu’elle suppose que le « ou » est systématiquement exclusif, ce qui est faux.

L’intention de l’auteur est claire. Elle se comprend à la lecture de la phrase ainsi sortie de son contexte, elle est encore plus évidente avec le contexte. Il s’agit d’améliorer les choses, dans leur aspect social et dans leur aspect environnemental. Comme les actions auront le plus souvent un impact sur un seul des deux aspects le « ou » s’impose mais à l’évidence l’auteur inclut les actions qui agissent sur les deux. Prétendre le contraire est absurdement agressif.

Ensuite, grammaticalement, le « ou » est très généralement inclusif, c’est-à-dire qu’il signifie ce que veulent exprimer ceux qui utilisent « et/ou ». Les situations où le « ou » est exclusif sont rares et généralement explicites. C’est le cas dans des phrases comme « C’est oui ou c’est non », ou « Tu veux ou tu veux pas ? » ou encore « Fromage ou dessert ». 

Cette remarque est donc doublement idiote. Pour autant l’auteur l’a prise en compte dans sa décision d’écrire « et/ou ». Il a préféré être sûr de ne pas s’y exposer, quitte à utiliser une locution qui n’existe pas et qui ne peut pas se prononcer.

Ce barbarisme se répand aujourd’hui sans limites et on peut le retrouver dans des situations grotesques. Je n’en citerai que deux.

La première, vue au cinéma : « Séances le 7 février et/ou le 14 février ». La deuxième relevée sur une publicité : « Services gratuits depuis un poste fixe et/ou un portable ». Dans les deux cas les intentions de l’annonce sont claires. Dans les deux cas on aurait pu écrire « et » ou « ou » sans problème. Mais apparemment, dans les deux cas, le rédacteur a eu peur qu’on lui reproche non pas même d’être mal compris, mais de laisser possible une mauvaise compréhension. Pour ne pas prendre ce risque il a choisi de faire « ceinture et bretelles » avec ce néologisme incongru.

Ce faisant, il cède devant la menace. Une menace qui devrait être inopérante, puisqu’un peu de réflexion et de bon sens suffiraient pour répondre aux attaques évoquées. Menace qui est néanmoins bien présente comme en témoignent les innombrables « et/ou » qui pourraient être remplacés par de vraies conjonctions de coordination et qui sont finalement autant de cas d’autocensure.

Cette autocensure est anodine mais elle est symptomatique du renoncement à affronter des attaques auxquelles la bonne foi et une petite dose de subtilité devraient pouvoir répondre facilement. Ces notions n’ont plus de force, il est donc préférable, pour ne pas avoir besoin d’y recourir, de céder par avance aux intolérants du langage.

Cette lâcheté face aux intolérants est un marqueur de notre société.

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