Voilà, c’est fait.

Au terme de 55 jours de confinement et de débats interminables autour de l’hydroxy-chloroquine, de l’efficacité du télétravail, de la puissance recommandée des tondeuses électriques et des colorations capillaires livrées par Amazon, nos compatriotes vont désormais pouvoir s’adonner aux joies du déconfinement, et reprendre une vie (presque) normale. Les applaudissements de vingt heures ont l’air de se faire plus rares, les métros à peine bondés ont repris leur train-train quotidien, les quais du Canal Saint-Martin ont retrouvé la fréquentation des fins d’après-midi estivales, et les questions les plus dignes d’intérêt vont pouvoir être posées. ET parmi celles-ci, la question principale.

Qu’est ce que tu fais pour les vacances ?

C’est neuf mots peuvent vous paraître anodins, mais ils sont probablement les neuf mots les plus importants pour des millions de gens : les français. Riches ou pauvres, petits et grands, jeunes et moins jeunes, mes compatriotes n’acceptent en effet d’affronter le désenchantement quotidien de leur morne existence que pour une seule et bonne raison : oublier l’année écoulée dès la fin du mois de Juin, et s’adonner aux joies des vacances estivales, quel que soit le lieu où elles se dérouleront. Qu’il s’agisse de batifoler sur les plages qui bordent le littoral national, de s’adonner aux joies des randonnées à la montagne ou d’aller découvrir des terres lointaines, peu importe, tous n’ont que cela à la tête. Détente et farniente sont les deux mamelles de la France au repos.

L’observateur étranger de nos moeurs hexagonales aurait d’ailleurs de quoi être surpris. Comment se fait-il qu’au pays des RTT, des congés soldés en Mai, des jours fériés et des dispositifs légaux permettant de profiter d’un peu plus de temps libre que la moyenne des pays européens, on attache autant d’importance à ces deux mois caniculaires ? Est-ce le fait d’être situé dans une zone tempérée qui, nous privant de la nécessité de nous doter en climatiseurs, nous pousse à aller prendre l’air ailleurs ? Est-ce le lobby de l’industrie du tourisme, monstre apolitique, qui n’a de cesse de nous pousser à dépenser nos maigres revenus dans des voles et des séjours de moins en moins chers mais de plus en plus fréquents ? Est-ce la malédiction du Front populaire, qui nous a condamné à deux siècles de recherche éperdue du bonheur par le truchement d’un exil estival ?

Je n’ai, hélas pas de réponse à ces questions.

Mais je suis certain d’une chose, cependant : l’été 2020 ne sera pas comme les autres. Car entre quatorzaine imposée lors des séjours à l’étranger et port du masque obligatoire lors des vols nationaux et internationaux, les vacances hors de l’hexagone risquent de ne pas attirer une foule de candidats.

Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, nos compatriotes se rabattront forcément sur l’offre nationale, bien plus riche, en réalité, que nous ne l’imaginons. Les Gorges du Verdon n’ont rien à envier au Grand Canyon, et pour qui sait la regarder avec amour, la terre de France présente une diversité de taille à combler les désirs d’aventure les plus extrêmes.

Mais avant de se hâter de réserver la villa de leurs rêves, mes aimables compatriotes vont devoir composer avec deux aléas, bien plus embarrassants qu’on ne l’imagine.

Le premier de ces aléas, c’est la limite des 100 kilomètres. Imposée par le gouvernement sur la base d’indicateurs rouges ou verts, en fonction de la capacité d’accueil des hôpitaux et de la présence avérée du virus dans la région concernée, elle créé une profonde fracture entre deux groupes foncièrement différents : la fracture estivale. Ceux vivant à moins de 100 kilomètres de la mer, et les autres. Aux premiers, la perspective de joies renouvelées au bord de l’eau, de châteaux de sables sur des pages probablement moins bondées que d’habitude, de dîners en tête à tête avec le soleil couchant sur une vaste étendue d’eau. Aux seconds, la perspective de pouvoir partager ces joies éphémères par le truchement du 13h de Jean-Pierre Pernaut, ou avec un peu de chance, d’un reportage dimanche après midi sur TF1. Avec, si la météo le permet, peut-être une ou deux après-midi à la piscine découverte de de l’Île de Puteaux, entre deux cars de jeunes banlieusards masqués.

Le second de ces aléas, c’est, au cas où la limite des 100 kilomètres serait levée, le plaisir de croiser des milliers de vacanciers – masqués, évidemment – suants et suffocants, sur les aires d’autoroute. Appelez cela comme vous le voudrez, chassé-croisé de vacanciers, retour des Juilletistes ou départ des Aoûtiens, peu importe, pour moi, il s’agit d’une vision cauchemardesque. Dans une période où la distanciation sociale est devenue la norme, j’éprouve en effet une angoisse folle à l’idée de ce qui pourrait se produire lors de pareilles rencontres. L’idée qu’un vacancier lambda, porteur asymptomatique du Covid-19, issu d’une région rouge, puisse poser ses doigts contagieux sur un terminal de carte bancaire sur lequel d’autres vacanciers, issus des régions vertes, glisseront une main innocente, hante mes nuits de déconfiné. Shining, à côté, c’est de la grande rigolade.

Qu’est ce que tu fais pour les vacances ?

Je ne sais pas. Je n’ose vraiment y songer. Et chaque fois que j’y pense, je tombe sur ces deux aléas, fracture estivale, et rencontres asymptomatiques sur les aires d’autoroute, ces deux épées de Damoclès, qui menacent l’ordre et la santé publique.

Et j’ai froid dans le dos.

Malgré la chaleur estivale.

Qu’est ce que tu fais pour les vacances ?

C’était pas le titre d’un tube ? Oui, je m’en souviens maintenant.

Et le nom des deux artistes, c’était Covid et Jonathan, je crois.

Pochette détournée d’un vieux disque, trouvée sur https://www.bide-et-musique.com/song/175.html

2 commentaires sur « Qu’est ce que tu fais pour les vacances ? »

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