Dans le cadre du déconfinement la décision de fermer les plages a suscité de nombreuses réactions. Fermer les plages alors que le métro est ouvert semble absurde. Il y a pourtant une certaine logique à cette décision.

Argumenter contre la fermeture des plages est assez simple. Il suffit de deux photos : l’une montre une plage où, en cette saison, les promeneurs se croisent à distance, et l’autre le quai du métro parisien où, même pendant le confinement, la promiscuité est très largement pire.

Ce contraste veut mettre en relief l’incohérence entre le fait d’accepter des quais du métro très fréquentés tout en refusant l’accès aux plages où les distances de sécurités sont pourtant beaucoup plus facilement respectées.

Une comparaison du même acabit est proposée par Ivan Rakitic, mileu de terrain du Barça. Favorable à la reprise du championnat espagnol, il s’exprime ainsi : « Les employés de supermarché ont autant, voire plus, de probabilités d’être touchés que nous » (citation de L’Equipe).

Dans les deux cas l’argument revient à considérer qu’il est inutile de redoubler de précautions d’un côté si de l’autre on prend des risques. Un peu comme s’il s’agissait d’une digue qu’il est inutile de renforcer ici alors qu’ailleurs une autre portion est fragilisée. Effectivement s’agissant d’une digue une seule brèche peut ruiner tout l’édifice et rendre vains les efforts de tous. Et avec ce schéma en tête les comparaisons ci-dessus sont parfaitement convaincantes.

Mais la propagation d’une épidémie est plus proche d’un phénomène de dominos et ce modèle conduit à voir les choses de manière fort différente.

Dans ce schéma chaque victime du virus est vue comme un domino qui tombe et entraîne dans sa chute un ou plusieurs autres dominos, qu’il aura contaminés. Le nombre de dominos que chaque malade entraîne dans sa chute est proche du coefficient R0 de l’épidémie, c’est-à-dire son taux de reproduction. Il est facile d’imaginer que si chaque domino en fait tomber deux ou trois l’épidémie se répand inexorablement alors que s’il n’en fait tomber en moyenne qu’un demi l’épidémie va s’éteindre.

Ce R0 est évidemment une moyenne sur l’ensemble de la population. Si dans certaines situations le R0 est élevé, il faut qu’ailleurs il soit très faible pour compenser. Et plus il est élevé ici, plus il doit être faible ailleurs.

Or nous ne pouvons pas maîtriser ce R0 dans toute la société. Le confinement ne peut pas durer éternellement et nous devons accepter que des risques de contamination soient pris ici ou là. Certains doivent prendre le métro pour aller travailler, et même pendant le confinement les employés des supermarchés (en particulier les caissières) ont continué leur activité et ont donc pris des risques, pour nous tous.

Ce n’est pas une raison pour prendre aussi des risques ailleurs ; c’est même au contraire une raison pour prendre moins de risques ailleurs.

Si Ivan Rakitic avait eu en tête ce schéma des dominos, il aurait pu dire « Nous devons prendre d’autant moins de risque que les employés de supermarché, dont l’activité nous est indispensable, ont de fortes probabilités d’être touchés ». Et il aurait conclu en demandant l’arrêt de la Liga.

Quant aux photos comparant une plage semi-déserte avec un quai de métro nettement plus fréquenté, dans la logique domino leur légende aurait pu être : « Certains doivent aller travailler et prendre des risques. Soyons solidaires et ne prenons même pas le faible risque d’une promenade sur la plage ».

Fermer les plages, arrêter le championnat de France de football, difficile de dire si ces décisions sont les bonnes. Je ne me prononce pas ici. Mais même si on pense que ce sont de mauvaises décisions, essayons de comprendre leurs sous-jacents. Ne cédons pas à la tentation des comparaisons faciles pour donner de nos gouvernants une image pire qu’ils ne le méritent.

« Ne pas railler, ne pas pleurer, ne pas haïr, mais comprendre » Baruch Spinoza (1632 – 1677)

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