Les mesures proposées pour lutter contre l’homophobie dans les stades pourraient bien être contreproductives et conduire au contraire à un grave recul dans le processus pourtant bien avancé de normalisation de l’homosexualité dans la société.

La raison en est une confusion entre le mot et la chose. Certains prétendent avoir une influence sur les faits, la société, la réalité, en jouant sur les mots qui les décrivent. Ce n’est qu’une illusion qui leur permet de se poser en défenseurs du bien et de la vertu tout en ne s’attaquant qu’aux apparences.

Le journal l’Equipe du 21 août 2019 propose une belle illustration de cette situation avec un article consacré à la lutte contre l’homophobie dans le football et qui donne à penser sur la notion même d’insulte.

Que des pages dédiées au football soient le lieu de réflexions liées au langage peut paraître étonnant. C’est pourtant le cas avec cet article signé de Christine Thomas et intitulé : « Homophobie, le choix des mots » (titre qui ne pouvait que nous interpeller).

Sous-titre : « En collaboration avec la LFP (Ligue de Football Professionnel), des associations de lutte contre l’homophobie essaient, avec difficulté, d’établir une liste de mots à bannir des stades ».

Cet article fait suite à l’événement suivant : vendredi 16 août, l’arbitre du match Nancy – Le Mans, Monsieur Mokhtari a décidé d’interrompre le match (pendant une minute est-il précisé) pour un chant comprenant les paroles « les Messins, c’est des pédés ».

L'arbitre de la rencontre Nancy - Le Mans, Mehdi Mokhtari, va interrompre le match.
L’arbitre de la rencontre Nancy – Le Mans, Mehdi Mokhtari, va interrompre le match.

Aucun autre match du week-end n’a été interrompu, malgré des slogans entendus sur différents terrains comme « La Ligue, La Ligue on t’encule », « Paris, Paris, on t’encule » ou « Mbappé va te faire enculer ».

La question peut alors être posée : « pédé » serait considéré comme homophobe mais pas « enculé » ?

Sur ce point précis des insultes considérées comme homophobes, Yoann Lemaire (président de l’association Foot ensemble, qui lutte contre les discriminations dans le monde du football) apporte ces précisions : « On n’est pas tous d’accord. Par exemple, si pour tout le monde le mot « pédé » est un terme homophobe, le mot « enculé » divise. Pourtant, il va bien falloir qu’on mette un curseur. Pour moi, le mots « pédé », « tarlouze », « tantouze », « pédale », « fiotte » ou « tapette » sont clairement homophobes. Mais le mot « enculé », bien qu’extrêmement insultant, est très banalisé chez les supporters et dans l’opinion publique ».

L’article précise ainsi que « Dans les mois qui viennent une liste de mots interdits pourrait donc faire la loi dans les stades ».

Un avis contraire à ce projet de censure est cité. Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT exprime son scepticisme : « Dans le droit français il n’existe pas une liste d’insultes permises où on décrèterait que « espèce de salopard » ça passe mais que « espèce d’enfoiré » ça ne passe pas. »

Ce point de vue nous semble raisonnable, et surtout pragmatique.

Supposons effectivement qu’une liste de mots interdits soit établie. Il serait assez logique que des contrôles soient mis en place. Amusons-nous un peu en imaginant donc des « Contrôleurs des Insultes », en train de suivre les slogans proférés par les supporters, pour décider si oui ou non le match doit être interrompu.

« Mbappé, vendu ! » : pas de problème.

« Neymar, salopard ! » : ok, ok.

« Arbitre, salaud ! » : mouais, ça va.

« Arbitre, grosse merde, fils de pute ! » : ça passe encore.

« Les Messins sont des pédés ! » : Ah non ! Là ça va trop loin !

A la vérité, de tous les qualificatifs ci-dessus, le seul à n’être pas véritablement une insulte est « pédé ». Certes il n’est pas l’exact synonyme de « homosexuel », il y ajoute une dimension péjorative. Mais cet aspect est nettement érodé et pour ceux qui utilisent « pédé » comme une insulte, « homo » est déjà insultant. L’utilisation de « pédé » plutôt que de « homo » dans leurs cris est liée selon moi non pas à la signification du mot mais à un aspect purement phonique. Les insultes s’accommodent mieux en effet de consonnes plus percutantes (Pute, Connard, Pédé, Casse Couilles) que de sons plus plats comme ceux du mot « homo ». Ainsi, pour ceux qui hurlent « pédé », l’insulte est déjà présente dans la simple notion d’homosexualité.

Or homosexuel ce n’est pas une insulte.

Certains considèrent que les homosexuels sont des sous-hommes. D’autres (souvent les mêmes) pensent la même chose des noirs, des arabes ou des juifs. Pour eux, homo, pédé, noir, arabe ou juif sont des insultes. Il faudrait leur apprendre que ce n’est pas le cas.

Or en les laissant hurler « Ordure ! » ou « Sac à merde ! » mais en arrêtant le match pour « Pédé ! » c’est le message contraire que l’on diffuse puisqu’on souligne que « Pédé » figure parmi les plus inacceptables des insultes.

Je vais plus loin. En faisant de « tarlouze », « fiotte » ou « tapette » des insultes homophobes, on ramène ces mots à une signification exclusivement liée à la notion d’homosexualité dont en fait ils s’éloignaient progressivement. Initialement ces substantifs étaient surtout utilisés comme insultes envers les homosexuels pour leur attribuer un caractère de faiblesse ou de lâcheté. Mais leur usage s’est élargi et ils peuvent être utilisés aujourd’hui à l’encontre d’une personne clairement hétérosexuelle, ou plus généralement dont la sexualité n’est pas en question.

En cataloguant « tarlouze », « fiotte » ou « tapette » comme des mots homophobes on revient en arrière dans ce processus de banalisation. On en vient en effet à affirmer qu’un homosexuel est, plus qu’un hétérosexuel, susceptible d’être faible ou lâche, principaux caractères véhiculés aujourd’hui par ces insultes.

Il est effectivement très difficile pour des homosexuels supporters ou footballeurs de vivre sereinement une sexualité qui est souvent présentée comme un travers ou une déviance et caricaturée comme une forme de faiblesse dans le milieu du football. Mais ce n’est pas en imaginant un système de censure grotesque et inapplicable qu’on améliorera la situation. Comme on le voit c’est plutôt le résultat inverse qui serait atteint.

En voulant jouer sur les mots pour modifier les faits, la société et finalement la réalité, on se trompe de combat. Ce n’est pas en interdisant aux imbéciles de hurler « pédé » qu’on leur fera accepter l’homosexualité de leur voisin de vestiaire ou de tribune.

Pareillement, ce n’est pas en modifiant les règles de l’accord en genre des adjectifs, en répétant à l’envi « celles et ceux » ou en inventant des versions féminines des noms de métier que l’on changera la condition des femmes, ici ou ailleurs.

(Billet également publié sur le blog Panthéon Foot).

2 commentaires sur « Homophobie dans les stades : attention aux actions contre-productives »

  1. Remarquable !!!!!!
    Ça fait du bien de lire ce papier tellement intelligent !
    Le problème c’est qu’on devoir arrêter de se marrer en attendant la prochaine banderole dans les stades.

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  2. Quelle serait le commentaire de cette personne sur cette question connexe :
    Si on légifère sur le harcèlement sexuel, ne devrait-on pas légiférer sur la provocation ?

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