Le rapport sur le sexisme publié par le Haut Conseil à l’Egalite entre les femmes et les hommes (HCE) fait de l’écriture inclusive un usage biaisé. Il s’en sert non pas pour promouvoir l’égalité femmes-hommes, objet officiel de cette pratique, mais au contraire pour délivrer un message parfaitement sexiste. Le rôle de victime est ainsi réservé aux seules femmes, tandis que ces mêmes femmes sont exclues du groupe des coupables.
Avant de décrire l’usage tendancieux qui en est fait, rappelons rapidement les principes de l’écriture inclusive (que nous désapprouvons, comme nous l’avons déjà exprimé ici et là).
Pour résumer son objet je me contenterai de citer Laurence Rossignol, ancienne Ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, dans la préface du Guide Pratique Pour une communication publique sans stéréotype de sexe : « Ne pas pouvoir nommer le féminin, ou le faire disparaître dans un genre prétendument indifférencié, c’est organiser l’invisibilité donc l’absence des femmes dans la sphère publique ».
L’une des recommandations de ce guide est la suivante : « User du féminin et du masculin dans les messages adressés à tous et toutes (…) Pour que les femmes comme les hommes soient inclus.e.s, se sentent représenté.e.s. et s’identifient. »
Ces principes sont mis en application à de nombreuses reprises dans le rapport sur le sexisme publié par le HCE. J’ai retenu quelques exemples qui illustrent trois usages spécifiques :
Refuser la règle de l’accord au masculin de l’adjectif qui se rapporte à des noms masculins et féminins : « Propos ou représentations stéréotypé.e.s, discriminant.e.s (…) » (page 4)
Exprimer que des noms (ici désignant une profession) représentent des femmes et des hommes, soit à travers l’adjectif qualificatif : « (…) des psychologues et psychiatres formé.e.s et spécialisé.e.s (…) » (page 10) soit à travers l’article : « (…) en raison de préjugés du.de la médecin (…) » (page 42).
Expliciter la mixité d’une population : « Chacun.e peut être porteur.euse de représentations et conditionné.e (…) » (page 16)
Rappelons que le premier ministre Edouard Philippe a banni cette pratique des textes officiels.
Il est donc déjà étonnant de la retrouver ici. Mais passons car ce que je reproche à ce rapport est très largement plus grave. Il s’agit de l’usage détourné de l’écriture inclusive pour imposer une vision déformée de la réalité. Nous ne sommes plus devant une pratique que certains défendent en se parant des vertus de la mixité et de l’égalité, nous sommes devant une franche manipulation.
Alors qu’on prétend habituellement utiliser l’écriture inclusive pour exprimer une «mixité» qui serait masquée, on va ici plus loin dans le militantisme en l’utilisant à des fins de propagande victimaire. Elle va servir à imposer l’idée d’une non mixité de deux populations : celle des victimes d’une part, celle des coupables de l’autre.
Commençons par les victimes du sexisme. Le mot « victime » est féminin. A l’image des exemples ci-dessus, on s’attendrait à ce que les adjectifs ou les articles qui s’y rapportent prennent les marques du féminin et du masculin, pour exprimer que certaines victimes sont des hommes (même s’ils sont nettement minoritaires).
Il n’en est rien, et les victimes sont toujours exclusivement féminines.
P61 : « 83% des victimes ne se sont pas déplacées en commissariat (…) ». Pourquoi pas « déplacé.e.s » ?
P61 : « Trois fois sur quatre, les victimes expliquent avoir renoncé à ce recours car elles souhaitaient (…) « . Pourquoi pas « ils.elles » ?
P61 : « Globalement, seules 11% des victimes (… ) ». Pourquoi pas « seul.e.s » ?
P72 : « Toute personne confrontée à une discrimination (…) peut saisir le.la médiateur.rice (…) ». Pourquoi pas « confronté.e » alors même que l’écriture inclusive est bien présente pour « le.la médiateur.rice » ? Pourquoi « organiser l’invisibilité donc l’absence » des hommes parmi les victimes ?
En résumé, à chaque fois que l’écriture inclusive pourrait être utilisée pour signifier qu’il se trouve aussi des hommes parmi les victimes, cette pratique est oubliée. Il en va évidemment autrement lorsqu’il s’agit de signifier que des femmes figurent parmi les victimes. Dans ces situations l’écriture inclusive réapparaît miraculeusement :
P84 : « Or, les blagues ont essentiellement pour sujet principal les groupes dominés ou mis à la marge (femmes, juif.ve.s, noir.e.s, arabes, pauvres, handicapé.e.s..). »
P105 : « Qui est injurié.e ? »
Et il ne s’agit pas ici d’une erreur d’inattention : ce biais est systématique. L’écriture inclusive est toujours utilisée pour rappeler que des femmes se trouvent parmi les victimes, elle ne l’est jamais pour signaler qu’il y a aussi des hommes.
De manière identique cette pratique n’est jamais utilisée pour inclure les femmes parmi les coupables.
P77 : « Au total, toutes infractions commises par conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime (…) ». Pourquoi pas « conjoint.e, concubin.e ou partenaire lié.e à la victime (…) ?
P77 : « En 2016, 69 115 mis en cause dont 61 619 hommes ». Pourquoi pas « mis.es » ? Alors même que la phrase met en relief 7.496 femmes mises en cause. Que sont-elles devenues ? Pourquoi « organiser l’invisibilité donc l’absence » de ces 7.496 femmes ? Pourquoi utiliser ici cette règle grammaticale si décriée sous sa forme caricaturale « le masculin l’emporte sur le féminin » ?
L’absence la plus criante de l’écriture inclusive apparaît trois fois dans la même page sous cette forme :
P81 : « (…) pour 23 013 victimes enregistrées, 12 262 mis en cause (…) ». Pourquoi pas « victimes enregistré.e.s » et « mis.e.s en cause » ?
Alors que l’écriture inclusive est très présente dans ce rapport, l’oublier ici dessine des victimes exclusivement féminines et des coupables exclusivement masculins. Certes les victimes des pratiques dénoncées sont majoritairement des femmes et les coupables majoritairement des hommes. Est-ce une raison pour gommer la minorité des victimes hommes et la minorité des coupables femmes ?
Pourtant, si j’en crois le Guide Pratique Pour une communication publique sans stéréotype de sexe, user du féminin et du masculin dans ce message permettrait que les femmes comme les hommes soient inclus.e.s, se sentent représenté.e.s et s’identifient, aussi bien aux victimes qu’aux coupables.
Et m’inspirant de Laurence Rossignol j’ajoute que ne pas pouvoir nommer le féminin ou le masculin, ou le faire disparaître dans un genre prétendument indifférencié, c’est organiser l’invisibilité donc l’absence des femmes parmi l’une des populations citées, et l’invisibilité donc l’absence des hommes dans l’autre population citée.
On ne me fera pas croire que ce biais systématique est involontaire de la part des auteures du rapport, qui sont toutes des femmes je le rappelle. C’est sans contestation possible une pure et simple manipulation. Effectuée par un organisme public financé par nos impôts qui se lamente, dans ce fameux rapport, de ne pas disposer de moyens suffisants pour mener à bien sa mission, et qui ne pratique l’égalité entre les femmes et les hommes ni dans son organisation ni dans la rédaction de ses rapports.
2 commentaires sur « Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes utilise l’écriture inclusive à des fins de manipulation »