Malgré les explications données à son antenne par un historien, France Inter adopte pour qualifier la République du Haut Karabakh les mots utilisés par le Président de l’Azerbaïdjan pour justifier son action militaire (« République séparatiste autoproclamée »)

Samedi 30/09/2023, dans la matinale de France Inter, Marion L’Hour et Ali Baddou reçoivent pour parler de la situation au Haut Karabakh l’historien Vincent Duclert qui vient de publier « Arménie un génocide sans fin et le monde qui s’éteint » aux Editions Les Belles Lettres.

Ses connaissances historiques sont très précieuses pour mieux comprendre les événements et les replacer dans l’Histoire de la région et des peuples concernés. (J’encourage ceux qui veulent en profiter à réécouter les 20 minutes que dure cette intervention, je me limiterai ici à la question du choix des mots).

Vincent Duclert aborde cette question suite à une remarque de Marion L’Hour. Elle cite des déclarations du Président de l’Azerbaïdjan Ilham Aliyev qui parle de mesures anti-terroristes qu’il aurait prises contre le Haut Karabakh, niant la légalité de cette République, et donc elle interroge l’historien sur le fait qu’aucune chancellerie, pas même celle de l’Arménie, n’a reconnu cette république.

Je cite la réponse de Vincent Duclert (bien que j’aie supprimé quelques hésitations du discours oral le déroulé des phrases reste parfois imparfait mais cela ne nuit pas à la compréhension de son propos).

  • On assiste à la soumission au narratif azerbaidjanais. On parle tout à coup de séparatistes.
  • (Ali Baddou précise) : Ah oui, pour parler du Haut Karabakh
  • Oui. Mais séparatistes de quoi ? Ces frontières ont été décidées par Staline en 1922. Les Arméniens du Haut Karabakh ont été en 1988 victimes de terribles pogroms en Azerbaïdjan et au Haut Karabakh. Ils se sont défendus et ont gagné la guerre. Et donc cette région du Haut Karabakh qui avait été volontairement installée par Staline dans l’Azerbaïdjan pour créer du conflit … ils ont créé une république autonome qui certes n’a été reconnue par personne mais en même temps l’autonomie des peuples peut être considérée quand même.
  • Mais pourquoi pas par Erevan, ce serait logique que l’Arménie reconnaisse l’autonomie de cette république ?
  • Oui mais jusqu’en 2018 avec la révolution de Pachinian l’Arménie était très liée aux Russes avec des mafias politiques des mafias économiques, l’Arménie n’était pas un modèle d’état… Elle se protégeait, ne pas reconnaitre le Haut Karabakh c’était aussi éviter de provoquer trop l’Azerbaïdjan. Mais je suis désolé, la République autonome du Haut Karabakh a été fondée par ses habitants après une guerre de défense et elle a une légitimité même si elle n’est pas reconnue.

Vincent Duclert insiste ensuite sur l’importance du mot « séparatiste » :

  • Aujourd’hui considérer au fond tous ces habitants du Haut Karabakh comme des séparatistes … et donc comme des terroristes car comme ils ne sont pas reconnus, tous ceux qui ont pris les armes, qui ont défendu le Haut Karabakh lors de la première offensive de septembre 2020 aujourd’hui sont des terroristes puisqu’ils ne sont pas des combattants. C’est assez effrayant.

L’importance du choix des mots est donc soulignée : parler de séparatisme c’est reprendre le narratif d’Ilham Aliyev et c’est faire des combattants du Haut Karabakh des terroristes.

Ali Baddou enchaîne ensuite sur des questions plus générales sur la notion de génocide. Il ne répond donc pas à Vincent Duclert au sujet de ce choix des mots. Il aurait pu pourtant citer le journal de 7h00 de la veille (vendredi 29/09/2023), dans la tranche du 6/9 qu’il animait également avec Marion L’Hour :

Le passage du journal d’Anaïs Feuga consacré au Haut Karabakh commence ainsi :

« Trente ans après sa création la république séparatiste auto-proclamée du Haut Karabakh n’est plus. Elle a annoncé hier sa dissolution. »

« séparatiste », « auto-proclamée ». Comme l’a très clairement expliqué Vincent Duclert ce passage aurait pu être écrit par Ilham Aliyev.

France Inter reprend en fait les termes d’un article du Monde publié la veille (jeudi 28/09/2023) et dont je reproduis le titre et l’introduction :

« La République autoproclamée du Haut Karabakh annonce sa propre dissolution.

Les combattants séparatistes de l’enclave ont déposé les armes, mercredi 20 septembre, après l’offensive éclair des forces azerbaïdjanaises. Selon le service de sécurité de l’Etat azerbaïdjanais, l’ancien dirigeant séparatiste du Haut-Karabakh, Ruben Vardanian, a été placé en détention provisoire. »

Après « autoproclamée » dans le titre, on trouve deux fois « séparatiste » dans les trois lignes de l’introduction.

L’intention du Monde et de France Inter n’est sans doute pas de faire des combattants Arméniens du Haut Karabakh des terroristes, mais il est clair qu’avec ces propos ils ne plaident pas pour leur légitimité dans cette région.

Se rendent-ils compte de la portée de leurs propos ? Sont-ils conscients d’adopter le vocabulaire des Azerbaidjanais comme l’a très bien expliqué Vincent Duclert ? Je suppose que certains le sont effectivement et adoptent délibérément ce vocabulaire partisan, mais que beaucoup se contentent de leur emboiter le pas sans bien comprendre, comme ils le font sur de très nombreux sujets.

2 commentaires sur « Parler de la République « séparatiste » du Haut Karabakh c’est adopter le point de vue de l’Azerbaïdjan »

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