Charles Enderlin était ce dimanche 19/01/2020 l’invité d’Eric Delvaux sur France Inter pour son dernier livre « Les Juifs de France entre République et sionisme ». Cet entretien a permis à Charles Enderlin d’exprimer ses idées. Elles sont connues : il est extrêmement critique envers le gouvernement israélien et tous ceux qui le soutiennent. Eric Delvaux, dont l’opinion est identique, a fait plus qu’abonder dans son sens. Il est allé plus loin qu’Enderlin dans les critiques adressées aux « franco-sionistes ». D’où un moment de radio parfaitement partisan, très critique envers Israël et les institutions juives de France et où aucune place n’a été laissée à la contradiction ni au doute.

Une précision avant tout : j’ai écouté et réécouté avec grand soin cet interview. J’encourage les curieux à faire de même (ici) avant qu’elle ne soit éventuellement modifiée par France Inter sur son site comme c’est déjà arrivé par le passé ().

L’idée centrale du livre de Charles Enderlin, mise en avant par l’auteur au cours de cet interview est la suivante : il regrette le virage du « franco-judaïsme », illustré par de grands « juifs d’état » sous la IIIème République, vers le « franco-sionisme ». Un élément important de ce virage fut la guerre des 6 jours, en 1967.

Une première question se pose : comment se définit le sionisme après la création d’Israël ? Rappelons-le, le sionisme est un mouvement politique apparu à la fin du XIXe siècle dont le but était l’établissement d’un état juif en Palestine et qui a abouti à la création de l’état d’Israël en 1948. Parler de sionisme après la création d’Israël c’est entrer dans l’ambigüité. Pour certains (dont je suis) si le sionisme a encore un sens aujourd’hui, ce ne peut être que celui du soutien à l’existence d’Israël, qu’il convient de distinguer du soutien à son gouvernement ou à sa politique.

Quand Charles Enderlin est interrogé par un journaliste qui exprime les mêmes opinions, la notion de journalisme est en danger.
Quand Charles Enderlin est interrogé par un journaliste qui exprime les mêmes opinions que lui, on passe du journalisme au discours partisan.

Enderlin ne dit pas clairement quelle est sa définition du sionisme. Mais il est précis sur les critiques qu’il exprime, puisqu’il parle d’un soutien inconditionnel à la politique du gouvernement israélien. C’est clairement ce soutien au gouvernement israélien qu’il nomme « franco-sionisme » et qui fait l’objet de son reproche.

Ce reproche il ne l’adresse pas aux Juifs français (malgré le titre de son livre) mais à leurs institutions. En effet il précise qu’il ne parle que de ce qu’il entend. Or il a écrit son livre depuis Jérusalem, ce qui limite pas mal les enquêtes de terrain quand on prétend parler des Juifs de France.

A petites touches, et sans vraiment le dire, Enderlin impose donc du mot sioniste une définition qui s’éloigne de son sens originel qui avait pour objet la création d’un état où les juifs seraient en sécurité. C’est évidemment très grave. Si Ben Gourion, fondateur de l’état d’Israël, sioniste parmi les sionistes, était de ce monde, Enderlin l’accuserait-il de soutenir la politique de Netanyahou ? Bien sûr que non. Cela suffit à comprendre qu’Enderlin tord la signification du mot sioniste.

Or tordre le sens du mot sioniste c’est évidemment tordre aussi celui du mot antisioniste. Les différentes interprétations de ce mot couvrent un spectre très large. Pour certains l’antisioniste prône tout simplement la destruction d’Israël, ou au moins conteste la légitimité de cet état. Pour d’autres il ne fait que critiquer le gouvernement israélien.

En bon journaliste, Eric Delvaux aurait pu interroger Charles Enderlin sur ce point, mettre en cause sa vision des choses, le pousser à expliciter et à défendre sa position. Il aurait pu lui apporter la contradiction, ou au moins avancer une forme de doute.

Il n’en a rien fait. Ses propos, ses questions, n’ont fait qu’aller dans le sens des idées de Charles Enderlin. Il est même allé plus loin que lui car si Enderlin utilise les mots avec la prudence que lui ont apprise des dizaines d’années de joutes autour de ce sujet délicat, Eric Delvaux n’a pas la même expérience ni la même retenue.

Il a ainsi questionné Enderlin sur la loi récemment votée et dont on a dit qu’elle assimilait l’antisionisme à une forme d’antisémitisme. Mais alors qu’Enderlin a pris la précaution au cours de l’entretien de ne jamais définir précisément ce qu’il entend par sionisme ou par antisionisme, Eric Delvaux parle comme si la définition du mot antisionisme était sans équivoque. Voici donc sa question, mot à mot (hésitations incluses) : « Quand la France vote une Loi qui instaure en France l’antisionisme comme une forme d’antisémitisme, c’est le risque donc désormais quand on prend euh le risque de critiquer la politique d’Israël, comment est-ce que cette loi a été vécue par les palestiniens ? »

On conviendra que le phrasé n’est pas irréprochable, mais ainsi s’exprime Eric Delvaux. Reste qu’il dit clairement que l’Assemblée Nationale a voté une loi qui interdit de critiquer la politique d’Israël. Cette affirmation n’est pas anodine, elle est profondément partisane.

Eric Delvaux va plus loin vers la fin de l’interview. Voici encore le verbatim de sa question : « Vous écrivez avoir voulu rédiger ce livre pour tenter de comprendre ces juifs français donc vous fûtes autrefois si proches, dont vous vous sentez aujourd’hui si éloigné, est ce que vous pensez que ce communautarisme israélien ne fera que s’exacerber ? »

Parler de « communautarisme juif » représente déjà une prise de position significative et discutable. Mais parler de « communautarisme israélien » c’est inexcusable. Si c’est un lapsus il est représentatif de l’amalgame que fait Eric Delvaux entre juifs et israéliens. Si ce n’est pas un lapsus c’est évidemment pire.

De manière générale Eric Delvaux était visiblement déçu que Charles Enderlin n’aille pas plus loin dans la critique des institutions juives et en particulier du CRIF. Il pose par exemple à Charles Enderlin des questions qu’il aurait été plus judicieux d’adresser à un membre du CRIF puisqu’elles visent à critiquer cette organisation. L’une est pour demander comment le CRIF s’accommode de la « politique de discrimination » menée par Netanyahou, l’autre pour se demander si le CRIF n’aurait pas un double langage au sujet de la solution à deux états.

Enderlin marque un temps de surprise après chacune de ces deux questions. Sa réponse va évidemment dans le sens de Delvaux, mais pas assez au goût de ce dernier, qui lui dit « Vous êtes plus critique dans votre livre que vous ne l’êtes au micro ». Encore une fois, au lieu de lui apporter une forme de contradiction, il va dans la même direction que lui et le pousse même à y aller plus loin.

Et il finira en lui souhaitant bon courage face aux critiques injustes que va lui valoir ce livre.

France Inter ne s’est pas contentée de sélectionner le livre de Charles Enderlin parmi les centaines qui auraient pu prétendre à cette faveur et bénéficier ainsi de 15 minutes d’antenne. Notre radio publique en a fait activement la promotion, en exprimant une totale adhésion aux idées défendues par Enderlin et sans laisser place à la moindre contradiction. Cette confusion entre journalisme et expression d’un discours partisan présenté comme irréfutable est simplement scandaleuse.

9 commentaires sur « Interview de Charles Enderlin : entre soi anti-israélien à France Inter »

    1. Merci de votre commentaire, mais je ne suis pas sûr de bien vous comprendre.
      Pensez-vous que tous ceux qui soutiennent l’existence d’un pays, ou qui soutiennent le gouvernement d’un pays, doivent aller y vivre ?
      Ou cela n’est-il vrai que pour Israël ?

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      1. Votre critique est tout à fait injuste, et ne reflète pas du tout cet interview de grande qualité. J’ai trouvé au contraire très bien que France Inter dont ce n’est pas forcément l’habitude , donne la parole à quelqu’un comme Charles Enderlin qui fait justement entendre une voix critique étayée sur les conséquences de la politique israélienne qui reçoit malheureusement un soutien aveugle et inconditionnel de nombre de politiques et intellectuels français

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      2. Merci Catherine pour votre commentaire.

        Je vais peut-être vous surprendre mais le gouvernement israélien n’a pas spécialement ma sympathie. Nous ne sommes donc pas réellement en désaccord sur ce point.

        Mais contrairement à vous, je pense que les politiques et intellectuels français sont beaucoup plus nombreux à le blâmer systématiquement qu’à le soutenir.

        Enfin, je suis très surpris que vous puissiez considérer que cet interview était de grande qualité. Quand l’interviewer est du même avis que l’interviewé, et qu’il l’exprime, le résultat ne peut pas être une interview de qualité.

        Merci encore de votre participation au débat.

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  1. Comment peut-t-on être aussi acerbe et porter de tels jugements.
    Eric Delvaux est un grand journaliste. Ses interviews sont de grandes qualités. A aucun moment je n’ai eu le sentiment qu’il partageait les mêmes opinions que Charles Enderlin..

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    1. Désolé si j’ai pu vous paraître acerbe, ce n’était pas mon intention.

      Vous dites qu’à aucun moment vous n’avez eu le sentiment qu’Eric Delvaux partageait les mêmes opinions que Charles Enderlin.
      Il a pourtant bien exprimé de vives critiques contre le CRIF.
      Il a sévèrement critiqué aussi la politique d’Israël, il a parlé à son sujet de « discrimination » envers les arabes israéliens.
      Il a considéré que la récente loi sur l’antisémitisme interdisait de critiquer la politique d’Israël.
      Il a exprimé ses craintes vis à vis du communautarisme juif, avec un lapsus significatif qui lui fait dire « communautarisme israélien ».

      Autant d’opinions qu’il a en commun avec Charles Enderlin.

      Je ne l’ai pas entendu exprimer le moindre désaccord avec Charles Enderlin.
      Pouvez-vous me citer un seul point de désaccord entre eux ?

      Merci de votre commentaire.

      MAL

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  2. Si le rôle d’un journaliste est d’être un béni-oui-oui voire un exhausteur de goût, M. Delvaux est plus que parfait. Si son rôle est de mieux faire connaître l’interviewé par des questions pertinentes et objectives, tout lecteur ou auditeur affirmera que les règles et la déontologie du journalisme sont totalement étrangères à ce monsieur. Qu’il retourne à l’école!

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