Le Monde met en ligne une série de cinq articles intitulée « Israël-Palestine, la guerre sans fin ». Sous couvert d’articles historiques il s’agit en fait de pure manipulation. Rien de ce qui est écrit n’est tout à fait faux mais la sélection des événements mentionnés et la manière dont ils sont présentés imposent une vision totalement déformée de la réalité. Dans cette vision, en résumé, tout est de la faute des Juifs. Ils ont spolié les Arabes avec la complicité active des Anglais puis de l’ONU. Les Juifs sont responsables de toutes les violences y compris celles commises par les Arabes, qui n’ont fait que se défendre.
Cette série d’articles est présentée comme un cours d’Histoire. Tout au contraire il s’agit d’une propagande éhontée. Même des faits historiques établis sont falsifiés.
J’ai lu très attentivement le premier des volets de la série, intitulé « Palestine, une terre deux fois promise » et qui couvre globalement la période allant de la première guerre mondiale aux années 1930. Lecture édifiante.
Une précision avant tout : pour la suite (comme dans l’article du Monde), j’utilise le terme de Palestine pour désigner la région géographique ainsi nommée à l’époque, et qui recouvre aujourd’hui les territoires d’Israël, de Gaza et de Cisjordanie.
Commençons par un élément qui est historiquement indiscutable mais que l’article passe sous silence : l’action décisive des Anglais dans la révolte arabe contre les Turcs. Cet élément peut paraître secondaire, il ne l’est pas. En effet cette omission délibérée (qui confine parfois à de la dissimulation) contribue à brosser de ces événements une vision biaisée dans laquelle les Anglais ont favorisé les Juifs et n’ont rien fait pour les Arabes. C’est faux.
Voici en deux mots la vérité historique (je crois pouvoir dire que ce qui suit n’est pas contesté). En 1914 la Turquie entre en guerre aux côtés de l’Allemagne. Cette dernière espère que les Turcs vont lancer un mouvement musulman de révolte contre la France en Afrique du Nord et contre l’Angleterre en Égypte et en Inde. Pour contrer cette menace l’Angleterre va se rapprocher de Hussein Ibn Ali, chef de la famille des Hachémites et gardien des lieux saints de l’Islam (La Mecque et Médine) pour susciter une révolte arabe contre les Turcs. Pour obtenir ce résultat les Anglais promettront aux Hachémites un royaume arabe sur la péninsule arabique et le Moyen-Orient (correspondant aux territoires actuels d’Israël, Gaza et la Cisjordanie, le Liban, la Syrie, l’Irak et la Jordanie). La révolte arabe sera ensuite soutenue par les Anglais qui lui fourniront du matériel et des hommes, parmi lesquels le colonel Lawrence, « Lawrence d’Arabie », qui jouera un rôle décisif et singulier.
De tout cela cet article ne retient que le fameux Lawrence d’Arabie. Ainsi il mentionne la révolte arabe « galvanisée par Thomas Edward Lawrence, dit Lawrence d’Arabie » sans mentionner l’engagement du gouvernement Anglais (et en préférant citer tous les prénoms de Lawrence plutôt que de mentionner son grade qui aurait peut-être trop évoqué l’armée anglaise). Il faut aller dans la carte animée à la fin de l’article pour voir mentionné dans la légende d’une illustration le « Soulèvement arabe orchestré par le Royaume-Uni en 1916 ». Mais si Le Monde a l’info, pourquoi ne la donne-t-il que dans ces sortes de notes très peu visibles et non pas dans le corps du texte ? Cela ne mérite-t-il pas d’être porté à la connaissance du lecteur ?
Pire : on passe de l’omission à la contre-vérité dans la bannière de l’article où on peut lire qu’en 1917 Lord Balfour choisit le sionisme, « ignorant les aspirations à l’indépendance des Arabes, en lutte contre l’Empire ottoman ».
Certes les Anglais ont fait des promesses contradictoires aux Arabe et aux Juifs (ainsi qu’aux Français), mais ils n’ont pas du tout ignoré les aspirations à l’indépendance des Arabes. Ils les ont favorisées, ils en ont profité, ils ne les ont certainement pas ignorées.
Ces déformations de la réalité visent à imposer la vision, contraire à la réalité, d’une Angleterre qui favoriserait systématiquement les Juifs au détriment des Arabes. Or cette distorsion de la réalité n’est pas anodine car elle est utilisée pour étayer d’autres manipulations (nous y revenons plus loin).
Autre élément qui contribue à imposer cette vision : l’article parle de l’immigration juive en Palestine. Il précise qu’elle s’effectue « sous le regard longtemps bienveillant des officiers de Sa Majesté ». Ce « longtemps » suggère que la bienveillance n’a pas été permanente mais il n’est pas très informatif. La vérité est qu’après les premières émeutes arabes de 1920 et 1921 (dont il n’est pas fait mention ici …) les Britanniques ont réagi en suspendant l’immigration juive avant qu’en 1922 Churchill (alors secrétaire d’état aux colonies) ne la rétablisse.
De même après la grande révolte arabe qui dure de 1936 à 1939, le gouvernement Anglais publie un Livre Blanc qui limite de façon drastique l’immigration juive. Ce document est publié en mai 1939. Plusieurs bateaux d’immigrants sont repoussés par les Anglais en 1939 et en 1940. Certains sombrent en faisant des centaines de victimes.
Ces restrictions à l’immigration juive sont résumées dans cet article par ce « longtemps » qui vient tempérer la bienveillance des Anglais à l’égard des Juifs. C’est un peu court.
Certes, l’article ne peut pas tout détailler, le rédacteur doit faire des choix pour éviter d’être top long. Choix étranges tout de même, qui passent sous silence des faits importants mais consacrent ensuite un paragraphe entier à un accord signé en 1933 entre l’Organisation sioniste mondiale et le gouvernement nazi au sujet de transferts de capital pour les juifs allemands rejoignant la Palestine. Entre les restrictions anglaises à l’immigration juive, actives encore en 1940, et cet accord, quel est le plus important ? Le choix du Monde est clair, il préfère ce qui lui permet de rapprocher dans la même phrase les sionistes et les nazis et oublie les décisions dramatiques des Anglais prises au détriment des Juifs. Nous ne sommes pas surpris.
J’ai évoqué les révoltes arabes de 1920 et 1921. Elles éclatent en réaction aux premières vagues d’immigration juive. C’est une réalité importante, elle est omise dans cet article qui parle de violences qui interviennent « à intervalles réguliers » et dont « un premier pic survient en 1929 ». C’est faux, le premier pic date de 1920.
Une précision : je ne cherche pas ici à plaider en faveur des Juifs contre les Arabes, mon objectif est de montrer à quel point Le Monde falsifie l’Histoire. Si je mentionne les violences arabes de 1920 et 1921 ce n’est pas pour faire peser la responsabilité de la situation actuelle sur les seuls Arabes. C’est pour souligner que cet événement important devrait figurer dans un article qui se voudrait objectif ou simplement honnête. Un tel article pourrait ensuite envisager la légitimité d’une réaction de la part des Arabes qui considéraient que cette terre devait leur revenir en totalité et que rien ne justifiait une immigration juive. Et de cela on pourrait discuter. Mais Le Monde ne fait pas ce choix de l’honnêteté, il dissimule cette réalité pourtant bien établie et c’est ce qui me scandalise.
Autre omission, plus anecdotique peut-être, mais significative de la manière dont cet article est écrit. Les premiers paragraphes sont consacrés à une discussion, en 1916, entre Lord Balfour et Chaïm Weizmann, qui plaide en faveur du projet sioniste. L’article nous explique alors que Weizmann « a pénétré les cercles dirigeants britanniques » grâce à un procédé permettant de fabriquer des explosifs. La vérité est un peu différente. Les deux hommes se sont rencontrés à Manchester en 1906. Weizmann venait de rejoindre le département de chimie de l’université et Balfour était candidat aux élections législatives. Dès cette époque Weizmann a décrit à son interlocuteur le projet d’installation des Juifs en Palestine. Ensuite ses travaux le rapprocheront de Lloyd George, alors ministre des Munitions, puis du premier lord de l’amirauté Winston Churchill. L’action de Weizmann s’est donc étalée sur plus de 10 ans et il me semble que l’omettre pour la réduire à une sorte de troc entre la déclaration Balfour et des explosifs est désobligeant.
La dernière omission que je voudrais mentionner est d’une dimension historique plus fondamentale. Pas une fois dans cet article n’est cité le nom de Hadj Amin el Husseini. Or il fait partie des personnalités les plus importantes parmi les Arabes de Palestine et son action aura été décisive jusqu’en 1947. Même les notes qui illustrent les cartes en fin d’article (et que j’ai déjà mentionnées) ne le citent pas parmi les personnalités arabes les plus importantes.
Son parcours en deux mots. En 1921 le grand mufti de Jérusalem décède. Les Anglais ont créé ce titre peu auparavant pour disposer d’un interlocuteur représentant les Arabes de Palestine. Parmi les candidats figure Hadj Amin el Husseini. Le collège électoral choisit un autre candidat mais les amis de Hadj Amin se lancent alors dans une violente campagne de propagande et de violence devant laquelle les Anglais vont céder. Ils vont obtenir la démission du candidat élu et la nomination de Hadj Amin el Husseini.
Malgré les promesses de paix faites au Anglais, Hadj Amin fait régner la violence et la terreur et les attaques de colonies juives se multiplient. Il encourage les Arabes palestiniens à contacter les pays voisins et va ainsi infecter le panarabisme d’un antisionisme violent. Plus tard il fera cause commune avec les nazis, approuvant officiellement la « solution finale ». Pour certains, le clan des Husseini aura dirigé la stratégie des Palestiniens jusqu’en 1947 en les conduisant au désastre.
Là encore, la vision que je donne rapidement de ce personnage peut être discutée et certains pourraient en parler autrement que je ne le fais. Mais un article honnête se doit au moins d’évoquer ce personnage central. Ne pas le faire c’est falsifier l’Histoire.
Une précision importante : absent de cet article (qui est le premier d’une série de cinq), Hadj Amin el Husseini est mentionné dans le deuxième volet de la série. Mais c’est d’une façon trompeuse. On nous dit que « forcé à l’exil par les Britanniques », il a « cédé aux sirènes du régime nazi qui misait alors sur le ressentiment des Arabes à l’égard des Britanniques ». Et on voit là l’impact du premier biais que je dénonçais : cette vision de Britanniques systématiquement hostiles aux Arabes. Pour qui a adopté cette vision mensongère, inutile de se demander pourquoi ce responsable religieux a été exilé. C’est entièrement la faute des Anglais, sans doute à la demande des Juifs, et il n’est alors pas étonnant qu’il « cède aux sirènes du régime nazi ». La vérité est qu’il n’a pas attendu les nazis pour mener la grande révolte arabe de 1936 après s’être livré à des pogroms en Palestine. Mais rien de son action avant la guerre ne nous est dit, l’omission du premier article n’est donc pas réellement corrigée dans le deuxième.
Et puisque cette mention de Hadj Amin el Husseini nous amène à ce deuxième volet de la série, arrêtons-nous sur la bannière de cet article. Elle commence ainsi : « En 1947, deux ans après la découverte des camps d’extermination nazis, l’Assemblée générale de l’ONU adopte un plan de partage de la Palestine qui offre aux juifs du monde entier une terre. »
Cette rédaction fait plus que suggérer que la Shoah est à l’origine de la création d’Israël. Certes la Shoah a eu sa place dans la décision de l’ONU, mais en faire ainsi le principal élément de cette décision est trompeur. C’est d’ailleurs un argument souvent avancé par les ennemis d’Israël qui présentent ainsi la création de cet Etat en Palestine comme une sorte de dédommagement accordé par les occidentaux aux Juifs au détriment des Arabes.
La vérité est que dès avant la guerre plusieurs plans de partage avaient été proposés. Ainsi en 1937 le gouvernement anglais avait proposé, avec le plan Peel, un partage de la Palestine en deux États, un État Arabe et un État Juif. Les circonstances ont empêché ce plan de voir le jour mais il n’est pas exclu que sans la deuxième guerre mondiale un processus de ce type aurait pu aboutir à un partage similaire. En outre, sans la guerre, sans la Shoah, l’immigration juive aurait peut-être été plus importante qu’elle n’a été. Nul n’en sait évidemment rien mais chacun peut se demander à quel point la Shoah a accéléré ou au contraire ralenti la création d’Israël.
Encore faut-il pour mener cette réflexion utilement avoir une vague idée des projets de partage de la Palestine avant la guerre. Les lecteurs du Monde devront pour cela avoir d’autres sources. Pas un mot en effet dans les deux premiers articles de ces projets de partage. Cette omission supplémentaire, et la bannière du deuxième article, valident donc l’idée suivant laquelle la Shoah a fait germer dans les cerveaux des diplomates de l’ONU ce projet totalement inédit d’un plan de partage de la Palestine. C’est faux.
Tout cela relève d’une forme de manipulation habituelle dans une certaine presse. En définitive, rien de ce qui est écrit n’est faux. Mais la sélection des faits mentionnés et la manière dont ils sont présentés induisent chez le lecteur une vision déformée de la réalité. Cet article est donc inattaquable d’un point de vue juridique. Mais il est délibérément trompeur. Il falsifie l’Histoire alors qu’il prétend au contraire donner au lecteur les connaissances historiques qui lui permettront de mieux comprendre les événements actuels.
J’ajoute que les manipulations que j’ai pu identifier plus haut portent sur des périodes qui s’y prêtent. Pour d’autres périodes la vérité est moins facile à établir. Ainsi le deuxième article parle de la guerre civile qui a suivi la proclamation du plan de partage du 29 novembre 1947. L’enchaînement des attaques et des représailles est beaucoup plus difficile à reconstituer. Vu le culot avec lequel les auteurs ont falsifié des faits historiquement établis, nous n’avons aucune raison de croire ce qu’ils racontent de ces événements plus confus.
En le regardant rapidement on peut noter que leur récit est sans surprise. Seuls sont mentionnés des crimes commis par les Juifs tandis que les Arabes ne font que riposter, se défendre. Les Juifs sont coupables, y compris des violences commises par les Arabes. Les Arabes ne sont que des victimes innocentes.
La vérité est évidemment différente. Les Juifs ont accepté le partage alors que les Arabes l’ont refusé. Dès que l’ONU eut proclamé le résultat du vote, Azzam Pacha, secrétaire général de la Ligue arabe déclara à la radio « Ce sera une guerre d’extermination et un terrible massacre ». De fait les Arabes attaquèrent immédiatement de nombreuses implantations juives, déclenchant une violente guerre civile. Ces attaques sont évidemment absentes du récit proposé par Le Monde.
Les procédés de manipulation utilisés dans ce deuxième article sont les mêmes que dans le premier article mais la nature des faits dont il est question rend plus difficile la mise en relief des truquages effectués.
Prenons un peu de recul pour terminer. A aucun moment dans cet article n’est évoqué le fait que les Arabes auraient aussi pu accepter le plan de partage. S’ils l’avaient fait ils auraient pu créer un État arabe sur un territoire plus vaste que la bande de Gaza et la Cisjordanie. Cela ne dépendait que des Arabes de Palestine et d’eux seuls. Et au lieu d’une guerre sans fin c’est la paix qui aurait commencé en 1947. Il est bon aussi de le rappeler.
J’arrêterai donc là mon analyse en me contentant d’affirmer que dans ces articles l’essentiel de ce qui est vérifiable est falsifié, biaisé, truqué. Pour ce qui n’est pas vérifiable dans les détails la manipulation est visible mais plus difficile à mettre en évidence de manière rigoureuse.
Il est scandaleux que ces articles de pure propagande soient présentés comme des références par Le Monde. Pour de nombreux jeunes ce sera la base de leur connaissance sur ce conflit. Ils vont absorber puis diffuser une vision parfaitement mensongère de la réalité. Ils vont donc assez naturellement nourrir une haine d’Israël. Cette haine s’étendra aux Juifs qui, pour la plupart mieux informés, défendront ce pays sur la base d’une réalité historique qui passera alors pour une vision pro-sioniste inacceptable.
Cette propagande du Monde est une incitation à la haine.
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Mes sources (entre autres) :
La saga des Hachémites, Rémi Kauffer, Tempus
Une ligne dans le sable, James Barr, Perrin
La décennie qui ébranla le Moyen-Orient 1914-1923, Nadine Picaudou, Champs histoire
Une histoire des Juifs, Paul Johnson, JC Lattès
Géopolitique du Proche-Orient, Alexande Defay, PUF
Géopolitique d’Israël, Frédéric Encel et François Thual, Seuil
Les origines du conflit israélo-arabe, Georges Bensoussan, Que sais-je ?
Atlas géopolitique d’Israël, Frédéric Encel, Autrement
Un commentaire sur « Le biais anti-israélien du Monde le pousse à la désinformation et à la falsification historique »