Si l’on prend comme source la presse généraliste française, ce qui se passe à Gaza depuis des décennies est inexplicable.
Avant le conflit actuel déclenché par les massacres du 7 octobre, on mentionnait souvent le blocus israélien qui faisait de Gaza une « prison à ciel ouvert ». Pourtant, malgré cette situation de « siège » les gazaouis ont réussi à construire, ou importer, des milliers de roquettes, des parapentes motorisés et des armes en quantité. Ils ont aussi construit des réseaux souterrains d’une longueur considérable.
Ils ont également construit des infrastructures, dont des écoles et des hôpitaux, puisqu’à chaque fois qu’un conflit éclate on nous raconte (parfois de manière mensongère) qu’Israël a bombardé des écoles et des hôpitaux. On nous dit moins comment cette enclave assiégée reconstruit ces bâtiments et leurs équipements.
On peut lire également qu’ont participé aux massacres du 7 octobre des gazaouis qui venaient travailler dans les kibboutz pris pour cible. Drôle de siège que celui-ci en vérité. Et drôle de prison.
Par ailleurs, depuis le 7 octobre les Israéliens ont mis en place un blocus qui semble fort différent du blocus qu’on nous décrivait auparavant puisque celui-ci suscite apparemment un vrai problème d’approvisionnement. Qu’en était-il donc de ce blocus initial ? En aurait-on exagéré la sévérité ?
Enfin, le public a découvert, à l’occasion des événements récents, que Gaza disposait aussi d’une frontière avec l’Égypte. Certains journalistes l’ignoraient également, Le Monde expliquant par exemple les fausses informations concernant le « bombardement de l’hôpital Al-Ahli » par le fait que « l’accès à ce territoire est interdit par l’armée israélienne ».
Pourtant la frontière avec l’Égypte est là depuis le début et le blocus israélien ne peut donc enfermer Gaza que si l’Égypte est complice.
Qu’en était-il donc de ce blocus de la part d’Israël avant ce conflit ? Sa mise en œuvre et ses effets le rendent très mystérieux.
Le triangle des Bermudes de la morale
A ces mystères matériels s’en ajoutent d’autres qui portent sur les comportements humains. Certains aviateurs racontaient que dans le triangle des Bermudes leurs instruments de navigations devenaient erratiques et qu’ils n’avaient donc plus de repères. Pareillement, Gaza semble être un triangle des Bermudes de la morale, qui fait perdre le nord à certains commentateurs concernant les faits qui s’y déroulent.
La forme la plus étonnante de perte de repère morale concerne les réactions aux massacres du 7 octobre. Avant même la riposte militaire d’Israël, des manifestations contre I’État hébreu, et accessoirement contre les Juifs, ont eu lieu dans de nombreux pays. Habituellement les manifestations ciblent les coupables des massacres, pas leurs victimes. C’est ici l’inverse qui s’est produit.
Certains personnages publics ont refusé de qualifier de terroriste ces massacres. Rappelons que le Hamas se revendique comme une organisation terroriste et qu’il est reconnu comme tel par l’Union Européenne, les Etats-Unis et le Canada entre autres. Quant à la nature des massacres et à leur déroulement, ils vont au-delà de cette notion. Que Jean-Luc Mélenchon agisse ainsi ne relève pas de la perte de repère mais au contraire de la poursuite d’un comportement purement électoraliste assez constant. Beaucoup plus étonnante est la position du président de Amnesty France. Souvent plus tranché dans ses critiques de diverses organisations, Jean-Claude Samouiller a visiblement perdu la boussole en refusant de qualifier le Hamas de terroriste.
La notion d’otage a aussi une valeur différente à Gaza et ailleurs. Ma génération a connu l’époque où les journaux télévisés égrenaient le triste décompte des jours de détention des otages du Liban. Les otages français détenus par le Hamas à Gaza n’ont visiblement par la même importance, ils sont rarement évoqués par les hommes politiques ou par la presse généraliste. Je ne peux pas croire que la raison en est qu’ils sont aussi Israéliens. Non, il ne peut s’agir que du mystère de Gaza, ce triangle des Bermudes moral.
Dernier exemple : on demande à Israël de faire la distinction, dans ses attaques, entre le Hamas, que l’on s’accorde à désigner coupable, et les civils gazaouis, qui sont eux innocents. Distinction qui n’est pas si simple quand on voit la joie exprimée par les civils gazaouis à l’annonce des massacres, et quand on sait que certains y ont même participé activement.
Par une inexplicable bizarrerie, cette distinction qui doit donc s’imposer aux Israéliens à Gaza ne trouve pas de raison d’être ailleurs pour d’autres intervenants. On n’a vu à aucun moment les nombreux manifestants « pro-palestiniens », qui représentent a priori les populations civiles de Gaza, critiquer le Hamas qui est pourtant à l’origine de leurs malheurs, et qui aggrave leur situation en détournant l’aide humanitaire. Une telle critique serait pourtant particulièrement bienvenue : elle aurait une portée beaucoup plus considérable de leur part que lorsqu’elle émane des défenseurs du droit d’Israël à exister.
Mais décidément ce qui est vrai à Gaza ne l’est pas Place de la République.